Les robots humanoïdes — c’est-à-dire des machines dont la morphologie, la locomotion et les capacités sensorielles s’inspirent de l’humain — passent en 2025 du stade de curiosité de laboratoire à celui de prototype industriel avancé.
Selon McKinsey & Company, une cinquantaine d’entreprises dans le monde travaillent aujourd’hui sur ce type de robot, mais moins d’une dizaine ont atteint le stade de pilotes à grande échelle ou de pré-commercialisation (McKinsey, 2025).
Cet article propose un état des lieux du marché, des avancées technologiques et des perspectives économiques, en s’appuyant sur les principales études des cabinets de conseil internationaux.


1. Un marché en plein essor mais encore marginal

Le marché mondial de la robotique est en expansion rapide, mais la part spécifique des humanoïdes reste modeste à court terme.
D’après Digitimes Research, la robotique dans son ensemble atteindra 8,8 milliards US$ en 2025, dont moins de 0,2 % pour les humanoïdes (soit environ 17 millions US$). Ce segment pourrait toutefois représenter 2 % du marché global en 2030, soit plus de 400 millions US$ (Digitimes, 2025).
Fortune Business Insights est plus optimiste : elle estime que la valeur du marché est passée de 2,43 milliards US$ en 2023 à plus de 66 milliards US$ attendus en 2032, avec un taux de croissance annuel de 45,5 %.
SkyQuest Technology Consulting avance une projection de 22 milliards US$ en 2032, soit un taux de croissance annuel de 48,9 %.
Plus lointainement, Morgan Stanley Research envisage un marché de 5 000 milliards US$ en 2050, avec plus d’un milliard de robots humanoïdes potentiellement en service (Morgan Stanley, 2025).
Bain & Company confirme cet engouement : en 2024, les startups de robotique humanoïde ont levé environ 2,5 milliards US$ de capital-risque (Bain, 2025).

Malgré ces chiffres, les cabinets s’accordent à dire que le marché reste à un stade pré-industriel : la rentabilité dépendra de la baisse des coûts, de l’amélioration de la fiabilité et d’une adoption sectorielle progressive.


2. La maturité technologique : de la démonstration à l’usage réel

Les progrès récents sont impressionnants mais les déploiements restent limités. Les rapports de McKinsey et de Bain & Company convergent : la plupart des humanoïdes actuels évoluent dans des environnements hautement contrôlés, souvent sous supervision humaine.
Les innovations portent sur trois axes principaux :

  • Perception et contrôle moteur : généralisation du LiDAR 3D, caméras stéréo, modèles neuronaux pour la coordination du mouvement, jusqu’à 60 degrés de liberté sur certaines plateformes.
  • Apprentissage et autonomie : renforcement de l’IA embarquée, apprentissage par imitation, mais encore une faible capacité d’adaptation « en temps réel » dans des contextes non structurés.
  • Industrialisation : les robots tels que Digit (Agility Robotics), Optimus (Tesla), Apollo (Apptronik) ou Figure 03 (Figure AI) représentent les avancées les plus concrètes en matière de design industriel et d’endurance.

Les laboratoires de recherche — PAL Robotics, IIT, NASA, KAIST — poursuivent quant à eux le développement de plateformes expérimentales, souvent utilisées comme bancs d’essai pour les algorithmes de locomotion et de manipulation.


3. Les moteurs économiques et sociaux de l’adoption

La robotique humanoïde répond à plusieurs tendances lourdes.
Les économies avancées font face à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent : Forbes estime qu’il manquera près de 85 millions de travailleurs qualifiés d’ici 2030, entraînant une perte potentielle de 8,5 trillions US$ de PIB (Forbes, 2025).
Les humanoïdes offrent une solution flexible : ils peuvent intervenir dans des environnements conçus pour les humains sans nécessiter d’adaptation lourde des infrastructures.
L’intégration des technologies d’intelligence artificielle (IA générative, apprentissage par renforcement, traitement embarqué) permet en outre d’envisager des usages hybrides : travail collaboratif, assistance, manutention, télé-opération.
Enfin, Strategy& (PwC) souligne dans son rapport The Future is Now for Humanoid Robotics que la robotique humanoïde devient un levier de compétitivité nationale, car les pays capables d’en maîtriser la conception et la production domineront la prochaine vague d’automatisation.


4. Des obstacles encore nombreux

Les freins à la diffusion sont à la fois technologiques, économiques et sociétaux.
Le coût de production reste élevé, notamment pour les actionneurs et les capteurs de haute précision.
La robustesse en environnement réel demeure insuffisante : la marche et la manipulation fonctionnent bien sur un sol plat, mais la navigation sur terrain irrégulier ou encombré reste problématique.
Les questions de sécurité et de réglementation constituent un autre défi : un humanoïde capable d’interagir physiquement avec des humains nécessite des normes de sécurité encore inexistantes dans de nombreux pays.
S’y ajoutent les enjeux éthiques et sociaux : peur du remplacement de l’homme, incertitudes sur la responsabilité en cas d’incident, ou encore inquiétudes liées à la cybersécurité des robots connectés.

Enfin, le retour sur investissement est encore incertain : très peu d’entreprises ont démontré la rentabilité d’un usage à grande échelle.


5. Trois trajectoires d’usage

Les humanoïdes se répartissent aujourd’hui en trois grandes familles d’applications.

1. L’industrie et la logistique
C’est la trajectoire la plus avancée. Les robots Digit, Apollo, Figure 03 ou H1-2 (Unitree) visent des tâches de manutention, de tri ou d’assemblage léger dans des entrepôts semi-structurés. Ces projets s’intègrent à la transition vers l’industrie 4.0, où les humanoïdes complètent les bras robotisés traditionnels.

2. Les services professionnels et sociaux
Les humanoïdes de type Ameca (Engineered Arts), Walker S (UBTECH) ou Pepper (SoftBank) se spécialisent dans l’accueil, la médiation culturelle et l’assistance aux personnes. Leur atout réside dans l’interaction émotionnelle et la communication non verbale.

3. Le marché domestique
Encore embryonnaire, il est porté par des projets comme NEO (1X Technologies) ou CyberOne (Xiaomi). Le prix, la sécurité et la fiabilité restent des freins majeurs à une adoption massive.

Selon McKinsey, la robotique humanoïde appliquée au BTP, à la santé ou à la logistique pourrait représenter un marché d’environ 370 milliards US$ à l’horizon 2040 (McKinsey, 2025).


6. Perspectives stratégiques

Pour les entreprises, la question n’est plus de savoir si la robotique humanoïde va s’imposer, mais quand et à quel coût. Deux stratégies s’opposent :

  • Le modèle intégré (« robot complet »), où l’entreprise conçoit la machine et son intelligence.
  • Le modèle modulaire, où elle développe un sous-système (mains, capteurs, logiciels).

Pour les laboratoires de recherche, le champ reste considérable : locomotion dynamique, interaction homme-machine, perception, IA embarquée. Les projets interdisciplinaires associant ingénierie, sciences cognitives et éthique s’imposent.

Pour les décideurs publics, les enjeux sont économiques et stratégiques : investir dans les chaînes de valeur robotiques nationales, favoriser la normalisation internationale, et anticiper les impacts sociaux du travail partagé entre humains et machines.


En synthèse

L’année 2025 marque une étape décisive : la robotique humanoïde quitte progressivement les laboratoires pour entrer dans les usines, les centres logistiques et les espaces publics. Les projections des grands cabinets — McKinsey, Bain, PwC, Fortune Business Insights, Morgan Stanley — s’accordent sur un point : la croissance sera exponentielle, mais la route vers la viabilité commerciale reste semée d’obstacles.
Le défi des prochaines années consistera à faire passer ces robots de la démonstration spectaculaire à la valeur ajoutée concrète. Leur avenir dépendra autant des avancées technologiques que de la capacité des sociétés à leur faire une place dans l’économie et dans la vie quotidienne.


Références