Longtemps perçu comme une simple technique de vente, le marketing sâest progressivement imposĂ© comme une science Ă part entiĂšre.
Il combine en effet une base thĂ©orique solide, une dĂ©marche mĂ©thodologique rigoureuse, et une capacitĂ© de prĂ©diction et de vĂ©rification empirique â trois critĂšres fondamentaux du statut scientifique (Popper, 1959).
1. Le marketing repose sur des fondements théoriques explicatifs
Selon Hunt (1983), une discipline peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme scientifique lorsquâelle dĂ©veloppe des thĂ©ories explicatives et prĂ©dictives fondĂ©es sur lâobservation et la rationalitĂ©.
Le marketing rĂ©pond Ă ce critĂšre puisquâil sâappuie sur un ensemble de concepts fondamentaux (besoin, motivation, valeur perçue, satisfaction, fidĂ©litĂ©) organisĂ©s dans des modĂšles thĂ©oriques testables.
Exemples de modÚles théoriques :
- La thĂ©orie du comportement planifiĂ© (Ajzen, 1991), utilisĂ©e pour prĂ©dire les intentions dâachat ou les comportements de consommation.
- Le modĂšle AIDA (AttentionâInterestâDesireâAction), issu de la psychologie cognitive appliquĂ©e Ă la communication.
- Le modĂšle des 4 P de McCarthy (1960), devenu la base du marketing mix, qui formalise la combinaison optimale entre produit, prix, distribution et communication.
- Les modÚles économétriques et comportementaux modernes permettant de relier les variables marketing aux ventes, à la satisfaction ou à la fidélité (Tellis & Gupta, 1995).
Ces modĂšles traduisent la volontĂ© du marketing de comprendre, mesurer et expliquer les phĂ©nomĂšnes liĂ©s aux Ă©changes marchands â une dĂ©marche typiquement scientifique.
2. Le marketing applique une méthodologie empirique et falsifiable
Le marketing sâappuie sur des protocoles dâobservation et de vĂ©rification empirique comparables Ă ceux des sciences sociales.
- Les Ă©tudes quantitatives (enquĂȘtes, expĂ©rimentations, analyses multivariĂ©es) permettent de tester des hypothĂšses et dâĂ©valuer la validitĂ© des modĂšles.
- Les Ă©tudes qualitatives (entretiens, observations ethnographiques, focus groups) permettent dâexplorer les reprĂ©sentations et motivations profondes des consommateurs.
Comme lâĂ©crit Churchill (1999), « le marketing research constitue lâapplication systĂ©matique de la mĂ©thode scientifique pour obtenir des informations sur les marchĂ©s ».
Cette rigueur mĂ©thodologique est lâun des piliers de sa scientificitĂ© : formulation dâhypothĂšses, observation, mesure, vĂ©rification et gĂ©nĂ©ralisation.
3. Le marketing produit des connaissances cumulatives et universalisables
Une science se distingue par la cumulativitĂ© des savoirs quâelle produit.
Depuis les annĂ©es 1950, le marketing sâest dotĂ© dâune littĂ©rature scientifique abondante et dâinstitutions dĂ©diĂ©es : Journal of Marketing, Journal of Consumer Research, Journal of Marketing Research, etc.
Ces publications soumettent les travaux à une évaluation par les pairs, favorisant la diffusion et la validation progressive des connaissances.
Selon Bagozzi (1994), la discipline sâest structurĂ©e autour de paradigmes successifs (Ă©conomique, comportemental, relationnel, technologique) qui ont permis dâenrichir et de stabiliser ses modĂšles explicatifs.
Ainsi, le marketing nâest plus un simple savoir pratique, mais une science cumulative, nourrie par la recherche acadĂ©mique.
4. Le marketing combine les logiques des sciences sociales et des sciences de gestion
Le marketing se situe à la frontiÚre entre économie, sociologie et psychologie.
Il Ă©tudie le comportement humain dans un contexte dâĂ©change, ce qui en fait une science sociale appliquĂ©e.
Pour Kotler (1972), le marketing nâest pas seulement une fonction de lâentreprise, mais un processus social par lequel les individus et les groupes obtiennent ce dont ils ont besoin en crĂ©ant et Ă©changeant de la valeur.
Cette dimension interdisciplinaire lui confĂšre une double nature :
- Science sociale, car il explique les comportements individuels et collectifs.
- Science de gestion, car il oriente les dĂ©cisions organisationnelles en sâappuyant sur des lois, des modĂšles et des indicateurs mesurables.
Ainsi, le marketing nâest pas seulement un art de la persuasion, mais une science de la dĂ©cision dans un environnement concurrentiel.
5. Les limites : un statut scientifique en débat
Certains auteurs rappellent que le marketing, comme toutes les sciences sociales, reste contextuel, non déterministe et interprétatif.
Selon Anderson (1983), le marketing est une science « molle » (soft science), dans laquelle les comportements humains ne peuvent ĂȘtre prĂ©dits avec la prĂ©cision des sciences exactes.
Pour Arndt (1985), la discipline se situe dans une tension permanente entre rigueur scientifique et pertinence managériale.
Mais câest prĂ©cisĂ©ment cette complexitĂ© qui en fait une science humaine, au sens oĂč elle cherche Ă modĂ©liser le rĂ©el sans le rĂ©duire.
â SynthĂšse
| CritÚre scientifique | Application au marketing | Références clés |
|---|---|---|
| Théorisation | ModÚles explicatifs (TPB, 4P, AIDA, etc.) | Ajzen (1991), McCarthy (1960) |
| MĂ©thode empirique | Ătudes quantitatives et qualitatives, expĂ©rimentation | Churchill (1999) |
| Falsifiabilité | HypothÚses testées et vérifiées empiriquement | Hunt (1983) |
| Cumulativité | Recherche publiée, revue par les pairs | Bagozzi (1994) |
| Universalité relative | Théories applicables à divers contextes | Kotler (1972), Tellis & Gupta (1995) |
đš Le marketing : entre science et art
Une discipline à double nature, entre rigueur analytique et créativité stratégique
Le marketing occupe une position singuliÚre parmi les sciences de gestion : il se situe à la frontiÚre entre la rationalité scientifique et la créativité artistique.
Comme le résume Philip Kotler (2003), « le marketing est à la fois une science qui analyse et un art qui séduit ».
Cette dualité fonde son efficacité : le marketing ne se réduit ni à des calculs, ni à de simples intuitions, mais combine les deux dans un équilibre subtil.
Une complémentarité nécessaire
La tension entre art et science nâest pas une contradiction, mais une synergie.
Selon Levitt (1986), les meilleurs marketeurs savent allier « lâimagination dâun artiste Ă la rigueur dâun scientifique ».
Le marketing moderne repose sur cette double compétence :
- la science pour comprendre et anticiper les comportements ;
- lâart pour inspirer, sĂ©duire et fidĂ©liser.
Le chercheur Sheth (1992) résume ainsi :
« Le marketing nâest ni purement analytique ni purement intuitif. Il est le pont entre la science du comportement et la crĂ©ativitĂ© stratĂ©gique. »
Cette complémentarité se retrouve dans la pratique quotidienne : les données orientent les décisions, mais les idées donnent vie à la marque.
Le marketing est donc une science appliquĂ©e Ă lâhumain, qui mobilise la rigueur des sciences sociales et la crĂ©ativitĂ© des arts de la communication.
Câest cette hybriditĂ© qui fait de lui une discipline unique parmi les sciences de gestion â Ă la fois rationnelle et sensible, explicative et expressive.
đ RĂ©fĂ©rences bibliographiques (APA 7)
- Ajzen, I. (1991). The Theory of Planned Behavior. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 50(2), 179â211.
- Anderson, P. F. (1983). Marketing, Scientific Progress, and Scientific Method. Journal of Marketing, 47(4), 18â31.
- Arndt, J. (1985). On Making Marketing Science More Scientific: Role of Orientations, Paradigms, Metaphors, and Puzzle Solving. Journal of Marketing, 49(3), 11â23.
- Bagozzi, R. P. (1994). Principles of Marketing Management. Chicago: Science Research Associates.
- Churchill, G. A. (1999). Marketing Research: Methodological Foundations (7th ed.). Fort Worth, TX: Dryden Press.
- Hunt, S. D. (1983). General Theories and the Fundamental Explananda of Marketing. Journal of Marketing, 47(4), 9â17.
- Kotler, P. (1972). A Generic Concept of Marketing. Journal of Marketing, 36(2), 46â54.
- Kotler, P. (2003). Marketing Insights from A to Z: 80 Concepts Every Manager Needs to Know. Hoboken, NJ: Wiley.
- Levitt, T. (1986). The Marketing Imagination. New York: Free Press.
- McCarthy, E. J. (1960). Basic Marketing: A Managerial Approach. Homewood, IL: Irwin.
- Popper, K. (1959). The Logic of Scientific Discovery. London: Routledge.
- Sheth, J. N. (1992). Marketing Science: The Coming of Age. Journal of Marketing, 56(3), 1â20.
- Tellis, G. J., & Gupta, S. (1995). Modeling the Impact of Marketing Mix on Market Share. Journal of Marketing Research, 32(2), 120â135.