Des origines antiques Ă la formalisation dâune discipline stratĂ©gique
Le marketing, tel que nous le concevons aujourdâhui, est une discipline rĂ©cente dans sa formalisation, mais ancienne dans ses pratiques. Bien avant lâapparition du mot, les principes fondamentaux du marketing â comprendre les besoins, sĂ©duire, fidĂ©liser et Ă©changer de la valeur â existaient dĂ©jĂ dans les sociĂ©tĂ©s marchandes antiques.
1. Le marketing avant le marketing : une pratique immĂ©moriale de lâĂ©change
Si le terme marketing nâapparaĂźt dans la littĂ©rature acadĂ©mique quâau dĂ©but du XXá” siĂšcle (Bartels, 1976), les comportements et stratĂ©gies quâil dĂ©crit sont beaucoup plus anciens.
Dans lâEmpire romain, les commerçants installĂ©s sur les fora savaient comment attirer et rassurer leurs clients :
- le choix de lâemplacement des Ă©tals correspondait Ă une logique de visibilitĂ© et de flux (une forme dâancĂȘtre du merchandising) ;
- les amphores de vin ou dâhuile portaient des inscriptions signalant la provenance et la qualitĂ© â premiers signes de diffĂ©renciation et de « marque » ;
- les cris des vendeurs ou les slogans peints sur les murs de Pompéi servaient à promouvoir un produit ou un service (McLaughlin, 2018).


Au Moyen Ăge, les foires de Champagne, de Bruges ou de Francfort fonctionnaient comme des marchĂ©s internationaux : on y pratiquait la promotion, la mise en scĂšne des produits et mĂȘme des formes rudimentaires de segmentation selon la richesse des visiteurs (Braudel, 1979).
Ă la Renaissance, des artisans et imprimeurs crĂ©ent leurs marques de fabrique pour signaler la qualitĂ© et fidĂ©liser leurs clients â comme lâimprimeur vĂ©nitien Alde Manuce, dont le logo en forme dâancre devint un symbole de prestige (Burke, 2000).

Ces pratiques montrent que le marketing est insĂ©parable du commerce. Il en est la dimension psychologique et stratĂ©gique, bien avant dâĂȘtre une science.
2. LâĂ©mergence du marketing moderne : du commerce Ă la science de marchĂ©
Câest au tournant du XIXá” et du XXá” siĂšcle que le marketing devient une discipline structurĂ©e.
La RĂ©volution industrielle bouleverse lâĂ©conomie : la production de masse impose de nouveaux dĂ©fis. Les entreprises ne se contentent plus de produire ; elles doivent Ă©couler leurs produits auprĂšs dâune clientĂšle plus large, moins accessible, et plus concurrentielle.
- En 1902, lâUniversitĂ© du Michigan introduit le premier cours intitulĂ© Marketing of Products (Jones & Shaw, 2006).
- En 1911, lâAmĂ©ricain Arch Wilkinson Shaw publie Some Problems in Market Distribution, posant les bases du marketing comme champ dâĂ©tude.
- Dans les années 1950, Theodore Levitt popularise la distinction entre selling (vendre) et marketing (comprendre le client) : « Le but du marketing est de rendre la vente superflue » (Levitt, 1960, p. 45).
Cette pĂ©riode marque le passage dâun marketing centrĂ© sur la production Ă un marketing centrĂ© sur le consommateur. Le consommateur devient le point de dĂ©part de la rĂ©flexion stratĂ©gique.
3. Le marketing contemporain : de la satisfaction client à la valeur sociétale
Ă partir des annĂ©es 1980, le marketing sâĂ©largit Ă de nouveaux domaines :
- Marketing des services (Lovelock & Wirtz, 2016), qui met lâaccent sur lâexpĂ©rience vĂ©cue ;
- Marketing relationnel (Grönroos, 1994), axé sur la fidélisation plutÎt que la simple transaction ;
- Marketing digital et data-driven Ă partir des annĂ©es 2000, fondĂ© sur lâanalyse comportementale en ligne ;
- Marketing durable (Kotler, Kartajaya & Setiawan, 2021), oĂč lâentreprise cherche Ă concilier performance Ă©conomique, responsabilitĂ© sociale et environnementale.
Cette Ă©volution reflĂšte le passage dâune logique de marchĂ© Ă court terme Ă une logique de crĂ©ation de valeur durable :
« Le marketing consiste Ă crĂ©er de la valeur pour les clients et Ă Ă©tablir des relations solides afin dâen retirer, en retour, de la valeur pour lâentreprise » (Kotler & Keller, 2016, p. 27).
4. Une continuité historique : comprendre, séduire et fidéliser
Du marchand romain au marketeur numérique, le fil conducteur demeure : comprendre les attentes des individus pour mieux y répondre.
Le marketing nâest pas une invention moderne mais une formalisation scientifique dâun instinct ancien â celui de convaincre autrui dâun Ă©change jugĂ© mutuellement bĂ©nĂ©fique.
đ RĂ©fĂ©rences bibliographiques (APA 7)
- Bartels, R. (1976). The History of Marketing Thought (2nd ed.). Columbus, OH: Grid Publishing.
- Braudel, F. (1979). Civilisation matĂ©rielle, Ă©conomie et capitalisme (XVeâXVIIIe siĂšcle). Paris : Armand Colin.
- Burke, P. (2000). A Social History of Knowledge: From Gutenberg to Diderot. Cambridge: Polity Press.
- Grönroos, C. (1994). From Marketing Mix to Relationship Marketing: Towards a Paradigm Shift in Marketing. Management Decision, 32(2), 4â20.
- Jones, D. G. B., & Shaw, E. H. (2006). A History of Marketing Thought. In The Handbook of Marketing. London: Sage Publications.
- Kotler, P., & Keller, K. L. (2016). Marketing Management (15th ed.). Harlow: Pearson Education.
- Kotler, P., Kartajaya, H., & Setiawan, I. (2021). Marketing 5.0: Technology for Humanity. Hoboken, NJ: Wiley.
- Levitt, T. (1960). Marketing Myopia. Harvard Business Review, 38(4), 45â56.
- Lovelock, C., & Wirtz, J. (2016). Services Marketing: People, Technology, Strategy (8th ed.). London: Pearson.
- McLaughlin, R. (2018). Rome and the Distant East: Trade Routes to the Ancient Lands of Arabia, India and China. London: Bloomsbury Academic.