Les travaux sur les robots de service en restauration commerciale, restauration collective et hôtellerie ne se limitent pas à identifier des antécédents directs de l’intention d’utiliser (utilité, plaisir, risques, confiance, anthropomorphisme, etc.). De plus en plus d’articles testent des variables modératrices qui viennent renforcer ou affaiblir la force du lien entre ces antécédents et l’intention d’utiliser un restaurant, un buffet ou un hôtel robotisé.
D’un point de vue statistique, une variable modératrice change la pente de la relation entre un antécédent (par exemple la valeur hédonique) et l’intention d’utiliser : l’effet est plus fort pour certains profils de clients ou dans certains contextes (type de restaurant, génération, niveau de confiance dans les robots, etc.) que pour d’autres.
- Modérateurs individuels : âge, génération, innovativité, readiness, anxiété.
- Modérateurs contextuels : type de restaurant, gamme, format de service, contexte sanitaire.
- Modérateurs psychologiques / relationnels : niveau de confiance, perception de sécurité, valeur perçue.
1. Rappel : qu’est-ce qu’une variable modératrice ?
Dans un modèle d’acceptation, une variable modératrice n’explique pas directement l’intention d’utiliser. Elle indique « pour qui » ou « dans quelles conditions » un antécédent (utilité, plaisir, risque, anthropomorphisme, etc.) exerce un effet plus ou moins fort sur l’intention.
- Exemple 1 : l’innovativité du consommateur renforce l’effet du plaisir perçu sur l’intention d’utiliser un robot serveur.
- Exemple 2 : le type de restaurant (luxe vs casual) modifie la réaction à la présence d’IA ou de robots en salle.
- Exemple 3 : la confiance dans les robots renforce l’effet de la valeur fonctionnelle sur l’acceptation.
Sur le plan empirique, les modérateurs sont testés via des termes d’interaction (produits croisés) en régression ou en SEM multi-groupes (comparaison de modèles entre groupes : jeunes vs seniors, luxe vs non luxe, etc.).
2. Modérateurs individuels étudiés dans la littérature
2.1. Innovativité du consommateur
Dans une étude menée sur les robots de service au restaurant, Alotaibi & Shafieizadeh (2022) montrent que l’innovativité du consommateur modère la relation entre les perceptions des robots (par ex. utilité, qualité, valeur hédonique) et l’intention d’utiliser ou de fréquenter un restaurant équipé de robots. Les clients très innovateurs sont plus sensibles aux bénéfices perçus et convertissent plus facilement ces bénéfices en intention d’usage.
Dans vos modèles, l’innovativité (ou technology readiness) peut être testée comme modérateur de l’effet de la valeur perçue, du plaisir ou de l’attitude envers les robots sur l’intention.
2.2. Générations d’âge
Nazri et al. (2024) examinent l’intention d’utiliser des robots de service au restaurant en intégrant la génération d’âge comme modérateur. L’étude montre que l’effet de certaines croyances (par ex. utilité perçue, facilité d’usage) sur l’intention varie selon les cohortes (jeunes adultes vs générations plus âgées).
Dans un autre travail, Figueiredo et al. (2025) trouvent, au contraire, une absence de « generational divide » significatif, ce qui illustre l’importance de tester empiriquement – plutôt que de supposer – l’effet modérateur de l’âge.
2.3. Modérateurs UTAUT : âge, genre, expérience
Une méta-analyse récente de type meta-UTAUT sur l’acceptation des robots par les clients d’hôtel confirme la pertinence des modérateurs UTAUT classiques (âge, genre, expérience, parfois volontariat d’usage) pour comprendre les intentions d’utiliser des robots en contexte hôtelier (Marghany et al., 2025).
Même si ces variables ne sont pas toujours significatives, elles restent des candidats naturels pour tester si les effets de l’utilité, de la facilité d’usage, de la valeur hédonique ou de la confiance diffèrent selon les segments de clientèle.
3. Modérateurs contextuels : type de restaurant, format, environnement
3.1. Type de restaurant : luxe vs non-luxe
Nozawa et al. (2022) montrent que le type de restaurant (luxe vs casual) modère l’effet de l’usage de l’IA / des systèmes automatisés sur les évaluations du restaurant : l’impact négatif de l’IA sur la perception globale est plus marqué dans les restaurants de luxe que dans les restaurants non-luxe. Le type d’établissement agit donc comme un modérateur du lien entre la présence d’IA/robots et les réponses du consommateur.
Un article récent du British Food Journal teste explicitement l’effet modérateur du type de restaurant sur la relation entre le type d’agent de service (robot vs humain) et la satisfaction : les différences de satisfaction induites par le recours aux robots varient selon que le restaurant est positionné sur le luxe ou non (Park et al., 2025).
Le type de restaurant ne se contente pas d’expliquer la satisfaction globale : il modifie la sensibilité des clients aux robots. La même configuration technologique peut être acceptable en casual dining mais délétère en haute gastronomie.
3.2. Format de service et type d’agent (robot vs humain)
Plusieurs travaux montrent que le format de service (self-service, fast-casual, full-service, buffet) modère la relation entre les antécédents (utilité, plaisir, risque) et l’intention d’utiliser des robots. Dans les formats très standardisés, la dimension fonctionnelle domine ; dans les formats hautement relationnels, les dimensions socio-affectives et de risque prennent plus de poids.
De même, la littérature récente teste le type d’agent de service (robot vs employé humain) comme variable interagissant avec le type de restaurant ou de service pour expliquer satisfaction, valeur et intention (Park et al., 2025 ; études sur les triades robot–employé–client).
3.3. Contexte sanitaire et perception du risque de contamination
Pendant la pandémie de COVID-19, El-Said (2022) montre que le risque perçu de contamination modère l’effet des croyances liées à la sûreté perçue des robots sur la satisfaction et l’intention de revenir dans les restaurants robotisés : plus le risque de contamination est élevé, plus la perception des robots comme option « sûre » se traduit en satisfaction et intention positive.
Autrement dit, le même niveau de sûreté perçue ne conduit pas aux mêmes comportements selon le niveau de risque sanitaire considéré ; le contexte temporel et sanitaire est donc un modérateur essentiel à intégrer lorsque l’on compare des données pré-, pendant et post-crise.
4. Modérateurs psychologiques et relationnels
4.1. Confiance dans les robots comme modérateur
Au-delà de son rôle d’antécédent direct de l’intention, la confiance dans les robots de service est parfois testée comme variable modératrice. Un article publié dans le Journal of Information Systems Engineering and Management montre que la confiance dans le service robotisé modère la relation entre différentes dimensions de la valeur perçue (valeur fonctionnelle, valeur divertissante) et l’attitude d’acceptation : l’effet de la valeur fonctionnelle sur l’acceptation est plus fort lorsque la confiance dans les robots est élevée.
Tester la confiance uniquement comme médiateur peut être insuffisant. Elle peut aussi jouer comme amplificateur ou atténuateur des effets de la valeur, de l’utilité ou du plaisir sur l’intention d’utiliser des robots dans un restaurant ou un hôtel.
4.2. Attitude, valeur hédonique et autres modérateurs psychologiques
Certaines études testent la valeur hédonique, l’attitude envers les robots ou le plaisir perçu comme modérateurs des effets plus « utilitaristes » (par ex. service quality → intention). On observe que, pour des clients très sensibles au plaisir ou déjà très positifs envers les robots, un même gain de performance est davantage converti en intention de revisite.
Dans d’autres cas, des dispositions négatives (robot anxiety, résistance perçue, barrières psychologiques) viennent au contraire atténuer les effets de l’utilité ou de la valeur perçue sur l’intention, voire les annuler pour certains segments de clients.
5. Intégrer des variables modératrices dans un modèle d’acceptation
D’un point de vue pratique, les variables modératrices sur les robots peuvent être intégrées de plusieurs façons dans un modèle empirique :
-
Régressions avec termes d’interaction :
– par ex. plaisir × innovativité pour tester si l’effet du plaisir sur l’intention dépend de l’innovativité ;
– utilité × type de restaurant pour tester si l’effet de l’utilité diffère entre luxe et non-luxe. -
SEM multi-groupes :
division de l’échantillon en groupes (jeunes vs seniors, forte vs faible confiance) et comparaison des coefficients structurels. -
Approches hiérarchiques ou PLS-MGA :
pour tester la significativité des différences d’effets entre groupes.
- Intégrer dès la conception des mesures de modérateurs potentiels (innovativité, génération, confiance, risque perçu).
- Prévoir une taille d’échantillon suffisante pour les analyses multi-groupes.
- Formuler des hypothèses de modération orientées (effet plus fort pour tel groupe) afin d’éviter les tests purement exploratoires.
6. Articulation avec les autres dimensions de l’inventaire
Les variables modératrices viennent structurer les liens entre les antécédents présentés dans les autres pages et l’intention d’utiliser des robots en restauration et hôtellerie :
7. Références scientifiques principales
- Alotaibi, S., & Shafieizadeh, K. (2022). Customers’ perceptions toward service robots at restaurants: The moderating role of consumer innovativeness and the mediating role of perceived hedonic benefits. Journal of Quality Assurance in Hospitality & Tourism. https://doi.org/10.1080/1528008X.2022.2161693
- El-Said, O. (2022). Are customers happy with robot service? Investigating satisfaction with robot service restaurants during the COVID-19 pandemic. International Journal of Contemporary Hospitality Management, 34(4), 1429–1450.
- Figueiredo, I. G., et al. (2025). Customers’ intentions to use restaurants with robot waiters. Journal of Business Economics and Management.
- Marghany, M. N. M., et al. (2025). Understanding hotel guest acceptance with meta-UTAUT: A systematic review and meta-analysis of service robot acceptance. Telematics and Informatics.
- Nazri, N. A. N. M., et al. (2024). Investigating the customer’s intention to utilize service robots in restaurants: The moderating role of age generation. Journal of Tourism, Hospitality and Culinary Arts.
- Nozawa, C., Togawa, T., Velasco, C., & Motoki, K. (2022). Consumer responses to the use of artificial intelligence in luxury and non-luxury restaurants. Food Quality and Preference, 96, 104436.
- Park, S., et al. (2025). Exploring the moderating effect of restaurant type on the interaction between service agent type and consumer satisfaction. British Food Journal.
- Ye, H., Law, R., & Guo, Q. (2022). A review of robotic applications in hospitality and tourism. Sustainability, 14(17), 10827.
- Article anonyme (2024). A perceived value and its influence on satisfaction and acceptance attitude toward robot services: The moderating effect of robot service trust. Journal of Information Systems Engineering and Management.