L’anthropomorphisme dĂ©signe la tendance Ă  attribuer Ă  des entitĂ©s non humaines des caractĂ©ristiques humaines (apparence, comportements, intentions, Ă©motions). Dans le cas des robots humanoĂŻdes de service en restauration, restauration collective et hĂŽtellerie, cette humanisation peut concerner le design physique (morphologie, visage, yeux), le comportement (gestes, regard, expressivitĂ©), la voix, le langage ou encore la perception d’un esprit (intentions, Ă©motions).

Les revues systĂ©matiques rĂ©centes (Zhang, Slade & Pantano, 2024 ; Blut et al., 2021) montrent que l’anthropomorphisme est un dĂ©terminant central des rĂ©actions des clients aux robots de service : il influence la prĂ©sence sociale, la chaleur perçue, la confiance, mais aussi le malaise et l’Uncanny Valley.

Pourquoi cette dimension est importante ?
  • Elle conditionne la façon dont les clients perçoivent le robot : objet technique vs quasi-personne.
  • Elle active des mĂ©canismes de cognition sociale (chaleur / compĂ©tence, intentions, moralitĂ©).
  • Elle peut augmenter la valeur expĂ©rientielle de la visite
 ou gĂ©nĂ©rer un rejet immĂ©diat.
  • Elle est au cƓur des arbitrages de design pour les robots dĂ©ployĂ©s dans les restaurants et hĂŽtels.

1. Cadres thĂ©oriques mobilisĂ©s pour l’anthropomorphisme

Les travaux sur les robots humanoĂŻdes en marketing, tourisme et hĂŽtellerie s’appuient sur plusieurs cadres thĂ©oriques pour analyser l’anthropomorphisme :

  • ThĂ©orie de l’anthropomorphisme : attribution de traits humains Ă  des entitĂ©s non humaines (Epley, Waytz & Cacioppo, 2007).
  • Computers as Social Actors (CASA) : les technologies dotĂ©es de traits humains sont traitĂ©es comme des acteurs sociaux.
  • Automated Social Presence : sentiment de coprĂ©sence sociale gĂ©nĂ©rĂ© par un robot (Van Doorn et al., 2017).
  • ModĂšle chaleur / compĂ©tence : les robots plus « humains » sont souvent jugĂ©s plus chaleureux mais pas toujours plus compĂ©tents (Kim, Schmitt & Thalmann, 2019).
  • Uncanny Valley : relation non linĂ©aire entre degrĂ© d’humanitĂ© perçu et agrĂ©ment, avec une zone de malaise pour des robots « presque humains » (Mori, MacDorman & Kageki, 2012).

2. Dimensions de l’anthropomorphisme et principaux dĂ©terminants

La littĂ©rature distingue gĂ©nĂ©ralement plusieurs dimensions de l’anthropomorphisme, qui peuvent ĂȘtre mobilisĂ©es comme antĂ©cĂ©dents dans les modĂšles d’acceptation :

2.1. Anthropomorphisme d’apparence (morphologie, visage, yeux)

L’anthropomorphisme d’apparence renvoie au fait qu’un robot possĂšde des traits physiques humains : silhouette humanoĂŻde, tĂȘte, visage, yeux, bouche, mains, posture. Les mĂ©ta-analyses montrent que plus un robot comporte de traits humains, plus il est jugĂ© humanoĂŻde et social (Blut et al., 2021 ; Murphy, Hofacker & Gretzel, 2017).

Dans les contextes de restauration et d’hĂŽtellerie, une apparence humanoĂŻde est associĂ©e Ă  :

  • une prĂ©sence sociale plus forte ;
  • une perception plus Ă©levĂ©e de chaleur et de sympathie ;
  • une amĂ©lioration des attentes de qualitĂ© de service et de volontĂ© de payer (Yoganathan et al., 2021 ; Qian et al., 2024).
Exemples d’items – Apparence humanoïde

« Ce robot ressemble Ă  un ĂȘtre humain. »
« Ce robot a un visage humain. »
« Ce robot me semble physiquement similaire à une personne. »

2.2. Anthropomorphisme comportemental (gestes, regard, émotions)

Au-delĂ  de l’apparence, les indices comportementaux (mouvements, gestes, orientation du regard, expressions faciales, posture, « langage corporel ») renforcent fortement la perception de traits humains (Liu et al., 2025). Les robots capables de :

  • tourner la tĂȘte vers le client,
  • maintenir un contact visuel basique,
  • accompagner la parole de gestes,
  • exprimer des Ă©motions simples (joie, surprise),

sont perçus comme plus sociaux et génÚrent davantage de rapport et de confiance, en particulier dans les restaurants à service interactif.

Anthropomorphisme comportemental en restauration

Des expĂ©riences montrent que des robots serveurs utilisant des gestes synchronisĂ©s, des inclinaisons de tĂȘte et des signaux de prise de congĂ© (« bon appĂ©tit », « bonne soirĂ©e ») amĂ©liorent la satisfaction et l’intention de revisiter, surtout pour les clients Ă  forte need for interaction (Zhang et al., 2024 ; Liu et al., 2025).

2.3. Voix, langage et anthropomorphisme mental

La voix humaine (timbre, intonation), l’utilisation d’un langage naturel, de formules de politesse et de petites touches d’humour contribuent aussi Ă  l’anthropomorphisme. Ces Ă©lĂ©ments renforcent la perception que le robot possĂšde un « esprit », des intentions et des Ă©motions (Pramesti et al., 2025).

Cette dimension mentale est cruciale pour comprendre :

  • l’attachment affectif Ă  un robot d’accueil ou de conciergerie,
  • les rĂ©actions morales (protection, compassion) face Ă  la maltraitance d’un robot,
  • les perceptions de menace identitaire pour les employĂ©s humains.

3. Effets de l’anthropomorphisme sur les rĂ©actions des clients

Les travaux empiriques en marketing et en hĂŽtellerie montrent que l’anthropomorphisme active deux grandes voies : une voie positive (prĂ©sence sociale, chaleur, confiance, valeur expĂ©rientielle) et une voie nĂ©gative (malaise, Ă©trangetĂ©, Uncanny Valley, menace).

3.1. Voie positive : social presence, chaleur, confiance, expérience mémorable

  • PrĂ©sence sociale & qualitĂ© perçue : des robots plus humains augmentent la prĂ©sence sociale perçue et l’expected service quality, ainsi que l’intention de premiĂšre visite et la volontĂ© de payer (Yoganathan et al., 2021).
  • Chaleur perçue : l’anthropomorphisme accroĂźt la perception de chaleur ou de sympathie, ce qui nourrit la satisfaction et les attitudes envers le restaurant ou l’hĂŽtel (Kim et al., 2019).
  • Confiance & engagement : l’apparence humanoĂŻde et les indices sociaux augmentent la confiance envers le robot et la marque de l’établissement (Qin et al., 2025 ; Callarisa-Fiol et al., 2025).
  • ExpĂ©rience mĂ©morable : l’anthropomorphisme contribue aux expĂ©riences clients mĂ©morables dans les hĂŽtels et restaurants (Moliner-Tena et al., 2025 ; Moliner-Tena et al., 2025 – Future Business Journal).

3.2. Voie négative : Uncanny Valley, étrangeté, menace

Au-delĂ  d’un certain seuil, un robot « trop humain » peut gĂ©nĂ©rer des rĂ©actions nĂ©gatives :

  • Uncanny Valley : malaise, peur, inconfort face Ă  un robot presque humain mais pas tout Ă  fait (Mori et al., 2012 ; Kim et al., 2019).
  • Eeriness & menace : sentiment de bizarrerie, voire de menace physique ou identitaire, en particulier dans des tĂąches de proximitĂ© (service Ă  table, check-in de nuit).
  • RĂ©actions ambivalentes : l’anthropomorphisme peut augmenter la chaleur perçue tout en rĂ©duisant les attitudes globales Ă  cause de l’étrangetĂ© (Kim et al., 2019).
Effets non linéaires à intégrer

Plusieurs travaux suggĂšrent des relations en U inversĂ© entre anthropomorphisme et rĂ©actions favorables : un niveau modĂ©rĂ© d’humanitĂ© perçue maximise l’acceptation, alors que des niveaux trĂšs faibles ou trĂšs Ă©levĂ©s peuvent pĂ©naliser l’expĂ©rience (Zhang et al., 2024 ; Qian et al., 2024 ; Qin et al., 2025).

4. Facteurs modĂ©rateurs de l’effet de l’anthropomorphisme

Les effets de l’anthropomorphisme ne sont pas universels : ils dĂ©pendent du contexte de service, du type de tĂąche et des caractĂ©ristiques individuelles des clients.

  • Type de service : check-in hĂŽtelier, conciergerie, service en salle, buffet, Ă©vĂ©nementiel, restauration collective ne sollicitent pas le mĂȘme niveau d’interaction sociale (Murphy et al., 2017 ; Belanche et al., 2020).
  • Type de tĂąche : les tĂąches fonctionnelles (livrer un plat) tolĂšrent des robots moins humains ; les tĂąches relationnelles (accueillir, conseiller) profitent davantage d’un anthropomorphisme modĂ©rĂ©.
  • CaractĂ©ristiques individuelles : niveau de technophilie, besoin d’interaction humaine, prĂ©occupations sanitaires, Ăąge et culture modĂšrent les rĂ©actions Ă  l’anthropomorphisme (Blut et al., 2021 ; Zhang et al., 2024).

5. Comment intĂ©grer l’anthropomorphisme dans un modĂšle thĂ©orique ?

Pour un travail de recherche appliquĂ© Ă  la restauration ou Ă  l’hĂŽtellerie, l’anthropomorphisme peut ĂȘtre intĂ©grĂ© comme :

  • AntĂ©cĂ©dent de la prĂ©sence sociale, de la chaleur perçue, de la confiance, du malaise.
  • Variable modĂ©ratrice entre caractĂ©ristiques fonctionnelles et intention d’usage.
  • Variable mĂ©diatrice entre design du robot et expĂ©rience mĂ©morable.
Recommandations pratiques
  • Distinguer au moins deux dimensions : apparence et comportements.
  • Tester des effets non linĂ©aires (U inversĂ©) pour rendre compte de l’Uncanny Valley.
  • Inclure au moins un mĂ©canisme mĂ©diateur : prĂ©sence sociale, chaleur ou confiance.
  • ContrĂŽler les effets de contexte : type d’établissement, type de tĂąche, exposition antĂ©rieure aux robots.

6. Articulation avec les autres dimensions de l’inventaire

L’anthropomorphisme et les traits humains doivent ĂȘtre articulĂ©s avec :

7. Références scientifiques principales

  • Belanche, D., CasalĂł, L. V., & FlaviĂĄn, C. (2020). Frontline robots in tourism and hospitality: Service enhancement or cost reduction? Tourism Management, 53, 40–51.
  • Blut, M., Wang, C., WĂŒnderlich, N. V., & Brock, C. (2021). Understanding anthropomorphism in service robotics: A meta-analysis of physical robots, chatbots, and other AI. Journal of the Academy of Marketing Science, 49, 632–658.
  • Callarisa-Fiol, L. J., Moliner-Tena, M. Á., et al. (2025). The impact of service robots on customer satisfaction and engagement: The role of perceived anthropomorphism. ESIC Market – Economics and Business Journal.
  • Kim, S. Y., Schmitt, B., & Thalmann, N. (2019). Eliza in the uncanny valley: Anthropomorphizing consumer robots increases their perceived warmth but decreases liking. Journal of Consumer Psychology, 29(1), 49–65.
  • Liu, W., et al. (2025). The effect of behaviorally anthropomorphic service robots on customer acceptance. Frontiers in Robotics and AI.
  • Moliner-Tena, M. Á., et al. (2025). Service robots and memorable customer experience. Future Business Journal.
  • Mori, M., MacDorman, K. F., & Kageki, N. (2012). The uncanny valley. IEEE Robotics & Automation Magazine, 19(2), 98–100.
  • Murphy, J., Hofacker, C. F., & Gretzel, U. (2017). Service robots in hospitality and tourism: Investigating anthropomorphic design and interactions. In APacCHRIE Conference Proceedings.
  • Pramesti, D. A., et al. (2025). Anthropomorphism unveiled: A decade of systematic insights into humanizing technologies. Frontiers in Psychology.
  • Qian, Y., et al. (2024). Influence of robot anthropomorphism on consumer responses in hospitality settings. Journal of Business Research.
  • Qin, M., et al. (2025). Trust in service robots: The role of anthropomorphic appearance in hospitality. Current Issues in Tourism.
  • Van Doorn, J., Mende, M., Noble, S. M., et al. (2017). Domo arigato Mr. Roboto: Emergence of automated social presence in organizational frontlines and customers’ service experiences. Journal of Service Research, 20(1), 43–58.
  • Yoganathan, V., Osburg, V.-S., & Akhtar, P. (2021). Check-in at the robo-desk: Effects of anthropomorphism and automated social presence on service quality expectations. Tourism Management, 85, 104–286.
  • Zhang, W., Slade, E. L., & Pantano, E. (2024). Humanlike service robots: A systematic literature review and research agenda. Psychology & Marketing, 41(12), 3157–3182.