Construire un modèle théorique est une étape centrale dans tout mémoire de recherche en sciences de gestion. Il s’agit d’identifier, organiser et relier des variables afin d’expliquer un phénomène observé. Cette étape fonde la cohérence de votre travail, conditionne la pertinence de votre méthodologie et oriente l’analyse de vos résultats.
1. Qu’est-ce qu’un modèle théorique ?
Un modèle théorique est une représentation structurée d’un phénomène qui met en relation plusieurs variables. Il résulte d’un ensemble d’hypothèses appuyées sur la littérature académique. Il ne s’agit pas d’un simple schéma esthétique : c’est une proposition explicative testable, falsifiable et reliée à une théorie existante (Popper, 1959).
Un bon modèle théorique doit :
- être fondé sur des concepts définis précisément ;
- reposer sur des liens logiques justifiés par la littérature ;
- aboutir à des hypothèses de recherche testables ;
- être cohérent avec la méthodologie envisagée (qualitative ou quantitative) ;
- rester dans un périmètre réaliste pour un mémoire de master.
2. Identifier les concepts clés
La première étape consiste à définir précisément le phénomène que vous souhaitez expliquer. Les concepts clés doivent être issus d’un travail approfondi de revue de littérature. Cela implique :
- une exploration des revues académiques (FNEGE, CNRS, HCERES) ;
- l’analyse d’articles récents (moins de 10 ans si possible) ;
- la recherche de concepts qui reviennent régulièrement dans les articles de référence ;
- la consultation des auteurs fondateurs (théories, modèles historiques).
Une fois les concepts repérés, vous les définissez à l’aide des auteurs les plus reconnus. Chaque concept doit être présenté de manière claire, opérationnelle et reliée au contexte de votre sujet.
3. Comment identifier des antécédents ?
Les antécédents sont les facteurs qui influencent votre variable principale (que l’on appelle souvent la variable dépendante). Pour identifier ces antécédents, la démarche suivante est recommandée :
3.1 Explorer les modèles existants
Commencez par analyser les modèles théoriques publiés dans votre domaine : chaque modèle contient déjà des antécédents validés empiriquement. Par exemple, en marketing du comportement, les modèles tels que l’UTAUT (Venkatesh et al., 2003), la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) ou le Technology Acceptance Model (Davis, 1989) présentent des antécédents stables et récurrents.
3.2 Chercher les variables les plus citées dans la littérature
Les antécédents les plus robustes sont ceux qui apparaissent dans plusieurs études empiriques. Vous pouvez repérer ces récurrences en observant :
- les revues de littérature (literature reviews) ;
- les modèles conceptuels affichés dans les introductions des articles ;
- les tableaux récapitulatifs des travaux antérieurs (souvent en discussion).
3.3 Identifier les facteurs liés au contexte
Un mémoire doit également intégrer des antécédents pertinents pour le terrain étudié. Si votre sujet concerne par exemple la restauration, le tourisme, ou le marketing durable, des antécédents plus contextuels peuvent être trouvés dans des travaux appliqués : attitude, confiance, qualité perçue, risque perçu, engagement perçu, valeurs environnementales, perceived authenticity, etc.
3.4 Rechercher les antécédents dans les théories fondatrices
Les théories fournissent souvent un cadre solide pour identifier des antécédents.
Quelques exemples :
- Théorie de l’action raisonnée / Théorie du comportement planifié : attitude, norme subjective, contrôle perçu (Ajzen, 1991) ;
- Modèle de qualité de service SERVQUAL : dimensions de la qualité perçue (Parasuraman et al., 1988) ;
- Équité de marque / Brand Equity : notoriété, qualité perçue, image de marque (Aaker, 1991).
L’objectif est d’identifier des variables capables d’expliquer votre phénomène et logiquement compatibles entre elles.
4. Construire les liens entre variables (relations causales)
Votre modèle théorique doit expliciter comment les antécédents agissent sur votre variable principale. Chaque lien doit être justifié par :
- une citation d’auteur ;
- un raisonnement théorique logique ;
- des résultats d’études empiriques antérieures.
Vous devez rédiger pour chaque lien une justification qui mène à une hypothèse.
Exemple :
« La qualité perçue influence positivement l’attitude envers le produit, car elle joue un rôle central dans l’évaluation cognitive du consommateur » (Zeithaml, 1988). → H1 : La qualité perçue influence positivement l’attitude envers …
5. Représenter le modèle conceptuel
Une fois les variables identifiées et les liens définis, vous construisez un schéma, généralement sous forme de diagramme :
- antécédents → variable dépendante ;
- variables médiatrices ou modératrices si nécessaire ;
- relations positives ou négatives.
L’objectif n’est pas l’esthétique mais la clarté. Ce schéma doit pouvoir être compris immédiatement par un lecteur externe.
6. Formuler les hypothèses
Les hypothèses doivent être :
- claires ;
- testables ;
- falsifiables (Popper, 1959) ;
- réductibles à une seule relation causale.
Exemples d’hypothèses bien formulées :
- H1 : L’engagement environnemental perçu influence positivement l’attitude envers les produits durables.
- H2 : L’attitude envers les produits durables influence positivement l’intention d’achat.
Références bibliographiques
Ajzen, I. (1991). The theory of planned behavior. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 50(2), 179–211.
Aaker, D. (1991). Managing Brand Equity. New York: The Free Press.
Davis, F. (1989). Perceived usefulness, perceived ease of use, and user acceptance of information technology. MIS Quarterly, 13(3), 319–340.
Parasuraman, A., Zeithaml, V. A., & Berry, L. (1988). SERVQUAL: A multiple-item scale for measuring consumer perceptions of service quality. Journal of Retailing, 64(1), 12–40.
Popper, K. (1959). The Logic of Scientific Discovery. London: Routledge.
Venkatesh, V., Morris, M., Davis, G., & Davis, F. (2003). User acceptance of information technology: Toward a unified view. MIS Quarterly, 27(3), 425–478.
Zeithaml, V. (1988). Consumer perceptions of price, quality, and value. Journal of Marketing, 52(3), 2–22.