Des origines antiques Ă  la formalisation d’une discipline stratĂ©gique

Le marketing, tel que nous le concevons aujourd’hui, est une discipline rĂ©cente dans sa formalisation, mais ancienne dans ses pratiques. Bien avant l’apparition du mot, les principes fondamentaux du marketing — comprendre les besoins, sĂ©duire, fidĂ©liser et Ă©changer de la valeur — existaient dĂ©jĂ  dans les sociĂ©tĂ©s marchandes antiques.


1. Le marketing avant le marketing : une pratique immĂ©moriale de l’échange

Si le terme marketing n’apparaĂźt dans la littĂ©rature acadĂ©mique qu’au dĂ©but du XXᔉ siĂšcle (Bartels, 1976), les comportements et stratĂ©gies qu’il dĂ©crit sont beaucoup plus anciens.

Dans l’Empire romain, les commerçants installĂ©s sur les fora savaient comment attirer et rassurer leurs clients :

  • le choix de l’emplacement des Ă©tals correspondait Ă  une logique de visibilitĂ© et de flux (une forme d’ancĂȘtre du merchandising) ;
  • les amphores de vin ou d’huile portaient des inscriptions signalant la provenance et la qualitĂ© — premiers signes de diffĂ©renciation et de « marque » ;
  • les cris des vendeurs ou les slogans peints sur les murs de PompĂ©i servaient Ă  promouvoir un produit ou un service (McLaughlin, 2018).
Le thermopolium, sorte de comptoir de “fast-food” de rue dans la Rome antique, a Ă©tĂ© mis au jour Ă  Pompei (Italie), le 26 dĂ©cembre 2020. (AFP PHOTO / POMPEI PRESS OFFICE)
La Garum Scaurus était considéré comme le meilleur Garum (épice)

Au Moyen Âge, les foires de Champagne, de Bruges ou de Francfort fonctionnaient comme des marchĂ©s internationaux : on y pratiquait la promotion, la mise en scĂšne des produits et mĂȘme des formes rudimentaires de segmentation selon la richesse des visiteurs (Braudel, 1979).

À la Renaissance, des artisans et imprimeurs crĂ©ent leurs marques de fabrique pour signaler la qualitĂ© et fidĂ©liser leurs clients — comme l’imprimeur vĂ©nitien Alde Manuce, dont le logo en forme d’ancre devint un symbole de prestige (Burke, 2000).

Ces pratiques montrent que le marketing est insĂ©parable du commerce. Il en est la dimension psychologique et stratĂ©gique, bien avant d’ĂȘtre une science.


2. L’émergence du marketing moderne : du commerce Ă  la science de marchĂ©

C’est au tournant du XIXᔉ et du XXᔉ siĂšcle que le marketing devient une discipline structurĂ©e.
La RĂ©volution industrielle bouleverse l’économie : la production de masse impose de nouveaux dĂ©fis. Les entreprises ne se contentent plus de produire ; elles doivent Ă©couler leurs produits auprĂšs d’une clientĂšle plus large, moins accessible, et plus concurrentielle.

  • En 1902, l’UniversitĂ© du Michigan introduit le premier cours intitulĂ© Marketing of Products (Jones & Shaw, 2006).
  • En 1911, l’AmĂ©ricain Arch Wilkinson Shaw publie Some Problems in Market Distribution, posant les bases du marketing comme champ d’étude.
  • Dans les annĂ©es 1950, Theodore Levitt popularise la distinction entre selling (vendre) et marketing (comprendre le client) : « Le but du marketing est de rendre la vente superflue » (Levitt, 1960, p. 45).

Cette pĂ©riode marque le passage d’un marketing centrĂ© sur la production Ă  un marketing centrĂ© sur le consommateur. Le consommateur devient le point de dĂ©part de la rĂ©flexion stratĂ©gique.


3. Le marketing contemporain : de la satisfaction client à la valeur sociétale

À partir des annĂ©es 1980, le marketing s’élargit Ă  de nouveaux domaines :

  • Marketing des services (Lovelock & Wirtz, 2016), qui met l’accent sur l’expĂ©rience vĂ©cue ;
  • Marketing relationnel (Grönroos, 1994), axĂ© sur la fidĂ©lisation plutĂŽt que la simple transaction ;
  • Marketing digital et data-driven Ă  partir des annĂ©es 2000, fondĂ© sur l’analyse comportementale en ligne ;
  • Marketing durable (Kotler, Kartajaya & Setiawan, 2021), oĂč l’entreprise cherche Ă  concilier performance Ă©conomique, responsabilitĂ© sociale et environnementale.

Cette Ă©volution reflĂšte le passage d’une logique de marchĂ© Ă  court terme Ă  une logique de crĂ©ation de valeur durable :

« Le marketing consiste Ă  crĂ©er de la valeur pour les clients et Ă  Ă©tablir des relations solides afin d’en retirer, en retour, de la valeur pour l’entreprise » (Kotler & Keller, 2016, p. 27).


4. Une continuité historique : comprendre, séduire et fidéliser

Du marchand romain au marketeur numérique, le fil conducteur demeure : comprendre les attentes des individus pour mieux y répondre.
Le marketing n’est pas une invention moderne mais une formalisation scientifique d’un instinct ancien — celui de convaincre autrui d’un Ă©change jugĂ© mutuellement bĂ©nĂ©fique.


📚 RĂ©fĂ©rences bibliographiques (APA 7)

  • Bartels, R. (1976). The History of Marketing Thought (2nd ed.). Columbus, OH: Grid Publishing.
  • Braudel, F. (1979). Civilisation matĂ©rielle, Ă©conomie et capitalisme (XVe–XVIIIe siĂšcle). Paris : Armand Colin.
  • Burke, P. (2000). A Social History of Knowledge: From Gutenberg to Diderot. Cambridge: Polity Press.
  • Grönroos, C. (1994). From Marketing Mix to Relationship Marketing: Towards a Paradigm Shift in Marketing. Management Decision, 32(2), 4–20.
  • Jones, D. G. B., & Shaw, E. H. (2006). A History of Marketing Thought. In The Handbook of Marketing. London: Sage Publications.
  • Kotler, P., & Keller, K. L. (2016). Marketing Management (15th ed.). Harlow: Pearson Education.
  • Kotler, P., Kartajaya, H., & Setiawan, I. (2021). Marketing 5.0: Technology for Humanity. Hoboken, NJ: Wiley.
  • Levitt, T. (1960). Marketing Myopia. Harvard Business Review, 38(4), 45–56.
  • Lovelock, C., & Wirtz, J. (2016). Services Marketing: People, Technology, Strategy (8th ed.). London: Pearson.
  • McLaughlin, R. (2018). Rome and the Distant East: Trade Routes to the Ancient Lands of Arabia, India and China. London: Bloomsbury Academic.