Si les robots humanoïdes peuvent apporter modernité, efficacité et différenciation, la littérature montre qu’ils suscitent aussi de nombreux risques perçus et objections. Ces freins jouent un rôle central dans l’acceptation des robots en restauration commerciale, restauration collective et hôtellerie, parfois au point d’annuler les bénéfices fonctionnels et expérientiels attendus.
Les travaux sur les service robots et les modèles basés sur la Behavioural Reasoning Theory (BRT) distinguent les raisons « pour » et les raisons « contre » l’usage des robots (objections, préoccupations, peurs). Ces « reasons against » influencent directement l’intention d’utiliser ou de recommander des restaurants robotisés (Molinillo et al., 2023) et s’articulent avec la perception de risque (Seo & Lee, 2021).
Les risques perçus et objections ne sont pas de simples variables « de contrôle » : ce sont des antécédents majeurs de la confiance, de la satisfaction et de l’intention d’utiliser les robots en salle, au buffet ou à la réception.
1. Que recouvrent les risques perçus ?
Par risque perçu, on entend la perception subjective de pertes possibles liées à l’utilisation d’un service robotisé : perte de temps, d’argent, d’intimité, de contrôle, de sécurité, de relation humaine, etc. Dans le cas des robots en restauration et hôtellerie, la littérature identifie plusieurs dimensions récurrentes :
- risque de performance (panne, mauvaise exécution du service) ;
- risque sanitaire / sécurité (contamination, hygiène, sécurité physique) ;
- risque de confidentialité & surveillance ;
- risque socio-relationnel & identitaire (déshumanisation, emploi, image de soi) ;
- risque psychologique (malaise, uncanny valley, anxiété face aux robots) ;
- risque financier ou de coût perçu (prix jugé trop élevé pour un service robotisé).
Dans de nombreux modèles, le risque perçu exerce un effet négatif direct sur l’intention d’utiliser et un effet indirect via la confiance et la satisfaction (Seo & Lee, 2021 ; Park, 2020 ; El-Said, 2022).
2. Les grandes dimensions des risques perçus
2.1. Risque de performance et de service
Le risque de performance renvoie à la crainte que le robot ne réalise pas correctement le service attendu : erreurs de commande, lenteur, incapacité à gérer des demandes spécifiques, pannes techniques. Dans leur modèle appliqué aux restaurants robotisés, Seo & Lee (2021) intègrent le risque perçu comme un déterminant négatif de la confiance et, indirectement, de la satisfaction et de l’intention de revisite.
- peur que le robot se trompe de plat ou de table ;
- crainte d’un service rigide, incapable de gérer les exceptions ;
- inquiétude quant aux pannes et à l’absence de « plan B humain ».
Le risque de performance peut être modélisé comme antécédent de la confiance dans les robots, ou comme antécédent direct de l’attitude et de l’intention d’utiliser un restaurant ou un buffet robotisé.
2.2. Risque sanitaire, sécurité physique et hygiène
La pandémie de COVID-19 a mis en avant un type particulier de risque : le risque sanitaire. Les robots peuvent être perçus à la fois comme une réponse à ce risque (réduction des contacts humains) et comme une source de nouveaux risques (hygiène des surfaces, maintenance, bugs).
El-Said (2022) montre que la perception des robots comme option plus sûre accroît la satisfaction et l’intention de revenir dans les restaurants robotisés lorsque le risque de contamination est jugé élevé. Kim et al. (2021) montrent également que, lorsque la menace COVID-19 est saillante, les consommateurs préfèrent des hôtels robotisés à des hôtels uniquement servis par des humains.
- peur de contamination via les interfaces (tablettes, surfaces) ;
- crainte d’accidents physiques (robots mobiles dans des espaces encombrés) ;
- questionnements sur les protocoles d’hygiène appliqués aux robots.
2.3. Risque de confidentialité, de surveillance et de données
Les robots de service peuvent intégrer des caméras, microphones, capteurs et algorithmes d’IA. La littérature sur la confiance dans les robots met en avant les craintes liées à la sécurité des données, à la surveillance et à la protection de la vie privée (Park, 2020).
- inquiétude quant à l’enregistrement des images et conversations ;
- peur d’un usage détourné des données (profilage, marketing intrusif) ;
- crainte d’un manque de transparence sur ce que « voit » et « retient » le robot.
Le risque lié aux données dépasse la seule dimension « technologique » : il pose des enjeux de consentement, de transparence et de gouvernance des données clients au sein des établissements.
2.4. Risque socio-relationnel et identitaire
Plusieurs études soulignent que les clients craignent une déshumanisation du service et une menace pour l’emploi lorsque les robots se substituent aux employés humains (Wirtz et al., 2018 ; Mende et al., 2019). Ces préoccupations s’inscrivent dans des enjeux plus larges de justice sociale et d’identité professionnelle.
- peur de perdre le contact humain, perçu comme cœur de l’hospitalité ;
- inquiétude pour l’emploi des serveurs, réceptionnistes, concierges ;
- sentiment de trahison des « valeurs de service » de l’établissement.
Ces risques socio-relationnels peuvent générer des réactions de rejet symbolique du robot, indépendamment de sa performance technique.
2.5. Risque psychologique, malaise et « vallée de l’étrange »
Les robots humanoïdes peuvent provoquer un malaise lorsque leur apparence ou leur comportement est jugé « trop humain » ou « pas assez humain » (vallée de l’étrange), ou encore lorsqu’ils exhibent des expressions émotionnelles jugées inappropriées.
- inconfort face à des visages ou voix artificiels ;
- peur de ne pas savoir comment interagir avec le robot ;
- sentiment d’être observé ou jugé par une machine.
Dans de nombreux travaux, ces réactions sont reliées à des dimensions d’anxiété envers les robots ou d’AI anxiety, qui viennent renforcer le risque perçu et affaiblir l’intention d’utilisation.
2.6. Risque financier et décalage valeur / prix
Enfin, certains clients considèrent que payer un prix élevé pour un service partiellement ou totalement robotisé comporte un risque financier : impression de « payer pour moins d’humain », doute sur la valeur perçue de l’expérience. Les études sur la price value dans l’UTAUT2/3 et sur la valeur perçue des restaurants robotisés montrent que ce décalage peut freiner l’intention d’essayer ou de recommander ces établissements.
3. Objections et « reasons against » dans la Behavioural Reasoning Theory
En mobilisant la Behavioural Reasoning Theory, Molinillo et al. (2023) distinguent explicitement les raisons pour et les raisons contre l’usage des robots en restaurant. Les objections identifiées peuvent être regroupées en deux grands types :
- Objections pragmatiques : manque de fiabilité, complexité d’usage, absence de flexibilité, problèmes potentiels de données.
- Objections axiologiques / éthiques : menace sur l’emploi, déshumanisation, perte de sens de l’hospitalité, inquiétudes sur la surveillance.
Les résultats montrent que ces raisons « contre » ont un impact significatif sur la disposition à utiliser des robots et à recommander des restaurants robotisés, parfois plus fort que certains bénéfices fonctionnels.
Il est pertinent de mesurer séparément les reasons for (bénéfices) et les reasons against (objections), plutôt que de se limiter à une mesure globale de risque perçu.
4. Comment risques et objections agissent-ils dans les modèles ?
La littérature met en évidence plusieurs schémas récurrents dans les modèles appliqués aux restaurants et hôtels robotisés :
- Risque → confiance → satisfaction → intention : dans les restaurants robotisés, le risque perçu réduit la confiance dans les robots, qui à son tour affecte la satisfaction et l’intention de revisite (Seo & Lee, 2021 ; Park, 2020).
- Risque sanitaire comme modérateur : lors de la COVID-19, la menace perçue renforce l’attrait des hôtels et restaurants robotisés (Kim et al., 2021 ; El-Said, 2022), transformant le robot en réducteur de risque plutôt qu’en menace.
- Objections (reasons against) → attitude → intention : dans les modèles BRT, les objections impactent l’attitude globale envers les robots, puis l’intention d’utiliser ou de recommander les établissements robotisés (Molinillo et al., 2023).
- Mesurer plusieurs dimensions de risque plutôt qu’un score global unique.
- Intégrer des items spécifiques aux objections éthiques & sociales.
- Tester le rôle du risque à la fois comme antécédent (direct) et comme modérateur (par ex. du lien utilité → intention).
Références scientifiques principales
- El-Said, O. (2022). Are customers happy with robot service? Investigating customer satisfaction with robot service restaurants during the COVID-19 pandemic. International Journal of Contemporary Hospitality Management, 34(4), 1429–1450. https://doi.org/10.1016/j.ijhm.2022.02.007
- Kim, S. S., Kim, J., Badu-Baiden, F., Giroux, M., & Choi, Y. (2021). Preference for robot service or human service in hotels? Impacts of the COVID-19 pandemic. International Journal of Hospitality Management, 93, 102795. https://doi.org/10.1016/j.ijhm.2020.102795
- Mende, M., Scott, M. L., van Doorn, J., Grewal, D., & Shanks, I. (2019). Service Robots Rising: How Humanoid Robots Influence Service Experiences and Elicit Compensatory Consumer Responses. Journal of Marketing Research, 56(4), 535–556. https://doi.org/10.1177/0022243718822827
- Molinillo, S., Rejón-Guardia, F., & Anaya-Sánchez, R. (2023). Exploring the antecedents of customers’ willingness to use service robots in restaurants. Service Business, 17, 167–193. https://doi.org/10.1007/s11628-022-00509-5
- Park, S. (2020). Multifaceted trust in tourism service robots. Annals of Tourism Research, 81, 102888. https://doi.org/10.1016/j.annals.2020.102888
- Seo, K. H., & Lee, J. H. (2021). The Emergence of Service Robots at Restaurants: Integrating Trust, Perceived Risk, and Satisfaction. Sustainability, 13(8), 4431. https://doi.org/10.3390/su13084431
- Wirtz, J., Patterson, P. G., Kunz, W. H., Gruber, T., Lu, V. N., Paluch, S., & Martins, A. (2018). Brave new world: Service robots in the frontline. Journal of Service Management, 29(5), 907–931. https://doi.org/10.1108/JOSM-04-2018-0119